Gherasim Luca surréaliste roumain

Jules Perahim (1914-2008), Portrait de Gherasim Luca, 1932, huile sur carton, 49,2 x 34,8 cm. Estimation : 18 000/20 000 euros. Jeudi 5 et vendredi 6 avril 2012 Drouot-Richelieu salle 9 À la fin des années 1920 à Bucarest, quatre poètes et un peintre vouant un culte à Rimbaud, “véritable dieu de la puberté comme il en manquait dans toutes les mythologies”, décident de fonder une revue – qui va bousculer le conformisme. Gherasim Luca, Paul Paun, Aureliu Baranga et Sesto Pals, les poètes, et Jules Perahim – le peintre – sont de jeunes adolescents, “camarades de jeux et d’école”, écrit Marina Vanci-Perahim (“Réflexions autour de quelques actes apparemment gratuits”, in La Provocation : une dimension de l’art contemporain, 2004). Fortuitement le surréalisme est en marche en Roumanie, grâce à Gherasim Luca, né en 1913 dans un milieu juif libéral, où il étudie plusieurs langues, en particulier le français et l’allemand, qui lui permettent de se nourrir des textes sur la psychanalyse. Son aîné de plus de vingt ans, Tristan Tzara, avait déjà rejoint la Suisse et la célèbre aventure dada, puis la France, où il participe au mouvement surréaliste. Là, Victor Brauner le rencontre en 1925 ; il rapporte à Bucarest l’effervescence liée à cette avant-garde. Les jeunes gens sont fascinés et lancent, cinq ans plus tard, la revue Alge (“Les Algues”), dont la première série comprend sept numéros de format in-8o jusqu’en 1931. Cette collection complète – très rare, vu le nombre d’exemplaires produits –, est attendue à autour de 18 000 euros. Une seconde série sera publiée en 1933, en trois numéros. Dans le n° 2 , on relève un bois gravé de Perahim représentant Gherasim Luca. Avec cette toile, provenant de l’ancienne collection du neveu du poète, Freddy Goldstein, et celui de la donation Arturo Schwarz au musée d’Art de Jérusalem, on ne connaît à ce jour que trois portraits ! Le titre, la typographie et la remarquable mise en pages de la revue sont l’oeuvre de Perahim, enfant terrible de l’art surréaliste roumain, alors tout juste âgé de 16 ans. On lui doit aussi la typographie de l’affiche Alge, la seule éditée sur papier vert (3 000 euros), pour le numéro 6. Entre les deux séries, les compères publient la revue Pula (“La Bite”) en octobre 1931, avec un tirage limité à 13 exemplaires hors commerce. Pour obtenir l’un des deux connus, il faut prévoir 12 000 euros. Le dernier numéro d’Alge comprend un texte en prose de Luca, “Roman de Dragoste” (roman d’amour), qui paraît la même année en volume illustré par Perahim. Selon Marina Vanci-Perahim, “le langage cru sans fioritures [...], le vocabulaire restreint et les répétitions nombreuses évoquent le climat aride d’un paysage parsemé de gares sales, de terrains vagues [...] où se joue l’histoire pathétique d’une passion violente”. Un exemplaire des 101 de l’édition originale (7 000 euros) figure dans cet ensemble remarquable consacré à cette grande figure littéraire roumaine... et française. Les années de guerre le voient surtout occupé à la quête d’objets surprenants comme un Portrait trouvé, sculpture en métal de facture érotique (2 000 euros) et à créer des “cubomanies” (même estimation). En 1952, Luca s’installe à Paris et renoue avec la poésie, écriture certes, mais aussi mise en scène et lecture publique. Composé de 27 pages avec des dessins, le manuscrit du “Principe d’incertitude”, pour le recueil Héros-Limite publié au Soleil Noir en 1953, est estimé 7 000 euros. À la force des jeux de mots, leitmotiv de sa poésie, est associée celle du sens – des sens, plutôt – où le poète explore la langue dans tout ce qu’elle peut avoir de charge subversive et libératoire. Laissons Luca conclure : “la vie sept, c’est à, c’est à dire pour, [...] pour une vie dans la vie”. A. F. LA GAZETTE DE L’HÔTEL DROUOT – 30 MARS 2012 – N° 13