Pépite lumineuse


98 750 euros frais compris.
Mercredi 28 novembre, salle 2 – Drouot-Richelieu.


André Groult (1884-1967), lampe d’ambiance,
cristal de roche recouvert à la feuille d’or,
h. 18,5 - l. 20 cm.

Voilà un objet qui pourrait concourir dans la catégorie du “lot mystère de la semaine”, surtout en regard de son résultat, 79 000 euros sur une estimation haute de 12 000. Premier indice, il porte un cachet figurant un panier fleuri, celui d’André Groult. Deuxième indice, sa carapace dorée abrite un corps translucide, permettant de laisser passer la lumière. Enfin, une platine en laiton située sous sa base permet son électrification... Vous l’aurez deviné, il s’agit bien d’une lampe, dont on imagine qu’une fois éclairée elle se transforme en une onirique pierre philosophale digne des Mille et une nuits. Elle est taillée dans une matière, le cristal de roche, qui depuis la Haute Antiquité est utilisée pour fonctionner les objets les plus précieux. Au XIIe siècle, l’abbé Suger utilisait l’expression lagena praeclara, “vase brillant”, pour désigner les objets en cristal de roche du trésor de l’abbaye de Saint-Denis, dont la célèbre aiguière conservée au Louvre, un objet d’origine fatimide datant de la fin du Xe, début du XIe siècle. Il faut en effet attendre la fin du XIIe siècle pour voir des ateliers de taille de cristal de roche se développer en Occident. Selon des sources écrites, le calife omeyyade al-Walid avait fait placer une importante lampe réalisée dans cette matière au-dessus du mihrab des Compagnons du Prophète, dans la Grande Mosquée de Damas. Au Xe siècle en Égypte, dans son Livre de l’optique, le physicien Ibn al-Haytham considère ce minéral comme un corps transparent ayant la capacité de contenir de la lumière avant même d’être traversé par elle. Dans l’Occident chrétien, au Moyen Âge, il était même investi de pouvoirs magiques, ayant la réputation de protéger et d’illuminer. Il prenait enfin une symbolique religieuse, ainsi traduite par l’abbé Suger : “La noble oeuvre resplendit. Mais noblement resplendissante, qu’elle éclaire les esprits pour qu’ils aillent vers la lumière vraie !” Il faudra attendre cependant le XVIIe siècle pour que l’usage laïc de garnir les lustres de pendeloques en cristal de roche n’apparaisse... et cela représente un coût astronomique ! Dans un inventaire de 1736, un lustre à six branches ruisselant de ces cristaux est prisé 8 875 livres. Une paire d’encoignures en laque de Chine se “contente” de 150 livres et une bibliothèque Boulle de 43 livres. Sous l’impulsion de Colbert, les verreries vont se développer en France, permettant de fournir à terme une matière transparente nettement moins onéreuse que le minéral. Bien entendu, la limpidité du verre n’a pas le même chatoiement que la matière naturelle... Un détail qui n’échappe pas à Jean-Michel Frank. S’il demande à Alberto Giacometti de créer des luminaires, il imagine pour sa part d’illuminer des blocs de cristal de roche, fort prisés de nos jours. Gansé d’or, celui d’André Groult offre une variation sur un thème millénaire. Aucun autre éclairage de ce type par Groult n’est répertorié sur la base Arnet. Une première ?
LA GAZETTE DE L’HÔTEL DROUOT – 7 DÉCEMBRE 2012 – N° 43