Drouot passe à la vitesse supérieure


Alexandre Giquello et Brice Pescheteau Badin, respectivement président et directeur de Drouot Enchère,
détaillent la nouvelle politique de l’hôtel des ventes avec comme maîtres mots l’ouverture et le savoir-vendre à
la française.
Qu’est-ce qui a motivé la création du poste de directeur de Drouot Enchère ?
Alexandre Giquello : Il s’agit d’une simplification d’un système qui était devenu compliqué à comprendre, avec des niveaux d’intervention
trop disparates. Pour simplifier, ce nouveau poste résulte de la fusion de l’ancien directoire et de l’ancien conseil de surveillance. Il est
important d’avoir une personne qui soit un commissaire-priseur pour être une interface avec ses confrères car, dès qu’il y a un problème
dans une salle, il faut quelqu’un qui sache concrètement déceler l’enjeu. L’idée est qu’il puisse y avoir un interlocuteur, Brice, qui connaisse et
comprenne les problèmes posés.
Brice Pescheteau Badin : Trop souvent, les gens voulant parler à Drouot Enchère s’adressaient à deux personnes, le directeur général de
Drouot Patrimoine, Olivier Lange, et son président, Alexandre Giquello, qui étaient là surtout pour gérer le groupe. L’idée est d’avoir
maintenant une seule personne qui gère et considère ce qui se passe dans l’hôtel, tout en s’intéressant également au développement et
aux orientations stratégiques. Il y avait beaucoup d’idées, de confraternité, mais qui ne se concrétisaient pas assez rapidement. Aussi le
conseil d’administration a choisi de prendre une politique et une direction claires, largement plébiscitées par les actionnaires. On ne pouvait
pas mener les réformes votées par l’assemblée générale sans un référent fort et opérant. Cela ne change pas l’organigramme mais permet
d’être plus en lien avec les maisons de ventes d’une part, et avec les équipes de Drouot Enchère d’autre part, quelles qu’elles soient, aussi
bien pour l’opérationnel que la technique et la communication. Pour m’assister dans la gestion et le développement de Drouot Enchère, le
conseil d’adminstration a nommé un comité stratégique composé de quatre confrères : Géraldine d’Ouince, Charles-Édouard Delettrez,
Thomas Müller et David Nordman. Son rôle de conseil est de définir les orientations stratégiques et les ressources adaptées.
Et quelles réformes le directeur de Drouot Enchère doit-il mettre en oeuvre ?
BPB : Les orientations fixées par l’assemblée générale du 2 octobre dernier sont claires, il s’agit de considérer l’hôtel des ventes comme une
plateforme du marché des ventes publiques, destinée à accueillir également des maisons de ventes non actionnaires pour y organiser leurs
dispersions. Ce sera aussi mon rôle de les écouter et de leur expliquer qu’elles font le bon choix. L’accès à Drouot se fera sur agrément du
conseil d’administration, aux mêmes conditions tarifaires que les actionnaires. L’idée est de faire de Drouot un endroit central pour les
ventes publiques en France. Cette ouverture concerne bien entendu également des maisons de ventes étrangères, pas seulement
françaises. Mais l’idée n’est pas de sous-entendre que l’on vend mieux à Paris qu’en régions, nous le voyons chaque semaine dans les
résultats publiés par La Gazette Drouot. L’idée consiste en fait à appliquer à l’hôtel des ventes la recette qui fait le succès de La Gazette et
Drouot Digital, deux filiales du groupe qui accueillent les publicités et les ventes sur internet, live on line only et buy now, de maisons de
ventes françaises et étrangères. Elles sont la preuve que le nom de Drouot joue un rôle fédérateur pour la profession et sa clientèle. Les
salles de l’hôtel des ventes peuvent désormais accueillir la même diversité d’opérateurs.
AG : Je tiens à souligner que dans un contexte éloigné de celui de l’ancien monopole, il faut se poser les bonnes questions, principalement :
«Qu’est-ce qui peut faire que certains confrères actionnaires de Drouot aient choisi de ne plus vendre à l’hôtel ?» La réponse est simple,
nous n’étions plus assez séduisants. Le travail est de refaire de Drouot un endroit incontournable pour les opérateurs par sa légitimité
comme place de marché : voilà l’idée générale des réformes votées. On ne peut pas contraindre les opérateurs. Cela a été essayé avec la
politique d’actionnariat obligatoire pour vendre à l’hôtel, qui ne correspond plus à une réalité économique.
BPB : Nous espérons que la possibilité de vendre au coeur de Paris, à l’Hôtel Drouot, sera pour nos confrères non actionnaires de tous
horizons un argument supplémentaire pour les aider à convaincre leurs vendeurs de leur confier une dispersion. L’attractivité de l’hôtel est
une réalité, on le constate avec l’ouverture au fil des ans de salles périphériques. Mais je le rappelle, vendre dans le quartier Drouot n’a pas le
même impact que vendre à Drouot.
Est-ce que la crise sanitaire que nous traversons, et bien entendu ses conséquences sur le métier, a joué un rôle dans ces
changements ?
AG : Avec les deux confinements de 2020, il y a eu une accélération de l’histoire. C’est le moment de se remettre en cause et d’être
intelligent. Ce qui me motive, c’est le potentiel à notre disposition, et que nous allons essayer de mettre en musique car nous avons une
carte à jouer. Et je le répète, nous allons y arriver tous ensemble par l’adhésion à notre projet, pas par la contrainte.
BPB : La crise sanitaire a très certainement été un accélérateur. N’oublions pas que ces changements ont été décidés avant le second
confinement. Bien entendu nous avons constaté que des ventes pouvaient se tenir sans exposition, et qu’un certain nombre d’acquéreurs
étaient à l’aise avec cette pratique. Mais nous avons aussi entendu une grande partie de nos clients être lassés de devoir courir les
entrepôts en Grande Couronne pour collecter leurs acquisitions faites via internet, et qu’ils auraient finalement préféré voir avant de les
acheter… Il y a toujours une place nécessaire et évidente pour un hôtel des ventes qui concentre expositions, vacations et stockage. C’est là
la force de Drouot : accueillir l’ensemble des opérations qui entourent une vente tout en employant des moyens modernes. Le
développement continue et le succès de Drouot Digital en est d’ailleurs la preuve.
N’avez-vous pas peur que les ventes live sur internet prennent le pas sur les ventes faites en salle ?
AG : Nous vivons une situation particulière, avec des gens qui ont pris certaines habitudes, mais il serait prématuré de tirer des conclusions
aujourd’hui. Il faut attendre six mois ou un an pour que les gens reprennent de nouvelles habitudes. Quand on est confiné chez soi, il est
facile d’acheter sur internet. Quand on travaille, c’est un peu plus difficile. Les habitudes d’achat et de vente vont certainement évoluer,
mais on ne sait pas comment. On tirera un vrai bilan lorsqu’une saison complète se sera écoulée. La particularité de Drouot est que l’on a
deux types de clients, les maisons de ventes et les acheteurs. Nous allons faire en sorte d’offrir aux clients OVV un service optimal, tout en
mettant aussi l’accent sur les acheteurs particuliers – les professionnels connaissent par coeur la musique –notamment avec la création
d’un service de conciergerie, une chose très importante. Il est évident que la réforme initiée il y a quelques mois devra très certainement
évoluer en fonction de ce deuxième confinement, et peut-être d’un troisième, car une nouvelle fois, les acquis de décembre 2020 ne seront
pas ceux de décembre 2022. C’est très important et c’est tout le travail du conseil d’administration, mais aussi de tous les acteurs de
Drouot, y compris les employés, de s’adapter à ces nouvelles conditions. On ne reviendra probablement jamais au monde d’avant le
confinement.
BPB : En 2020, Drouot Digital a su attirer un nombre d’acheteurs internationaux très important. Nous avions peut-être l’immodestie de
croire que le monde entier nous connaissait : c’était vrai pour notre nom mais peut-être pas pour nos ventes. Mais je suis très confiant pour
l’avenir, car en situation de concurrence, il me semble préférable de proposer commercialement à nos clients une exposition étendue à
l’Hôtel Drouot, accompagnée d’un catalogue papier, plutôt qu’une vente uniquement digitale et un catalogue uniquement numérique. Et
en plus, vous exposerez dans un hôtel magnifique, où se pressent quotidiennement, en temps normal, entre 3 000 et 5 000 personnes. Pour
preuve de mon optimisme, les maisons de ventes qui en décembre ont maintenu les ventes à huis clos malgré la réouverture de Drouot, car
elles s’étaient organisées ainsi, ont entamé une politique de location de salles massive pour le premier trimestre de l’année. Mieux encore,
sans avoir encore communiqué sur les nouvelles conditions d’accès à Drouot, six maisons de ventes dirigées par des équipes jeunes ont fait
leur demande et ont été agréées. Certaines se sont même portées acquéreurs de 7 000 actions du groupe ! Et d’autres prévoient de le faire
durant ce trimestre.
Quels arguments pensez-vous mettre en avant pour attirer de nouvelles maisons de ventes à Drouot ?
BPB : L’Hôtel des ventes Drouot, c’est tout simplement le savoir-vendre à la française : l’exposition, le rendez-vous et le lien social. Il s’agit
d’un endroit unique au monde qui sait accueillir une très large gamme de populations, depuis une très locale et acheteuse à une autre
traditionnellement très internationale, cette dernière dimension étant accentuée par Drouot Digital, qui recrute ses utilisateurs dans 90 %
des pays de la planète. Désormais, dans une vente classique, nous pouvons avoir des acquéreurs de vingt à trente pays, souvent répartis
sur les cinq continents. Le fonctionnement de l’hôtel des ventes est simplifié pour une meilleure lisibilité des jours de vente et d’exposition. Il
est désormais ouvert tous les samedis, ce qui permettra d’avoir à l’étage un rythme de deux jours d’exposition et un de vente, les mardis et
les vendredis. Au niveau inférieur, le rythme reste d’un jour d’exposition et un de vente. Il faut aussi mettre en avant la flexibilité de l’outil
hôtel des ventes, comme l’ont prouvé dans les années 2000 les ventes des collections André Breton, Pierre et Claude Vérité ou Paul-Louis
Weiller. Il est tout à fait possible de louer un étage pour une semaine à une OVV pour l’organisation d’une ou plusieurs ventes. Drouot
permet de réaliser des projets ambitieux dans d’excellentes conditions.
AG : Nous allons faire en sorte que chaque opérateur ait un service individualisé, car chacun a ses habitudes de travail et il faut les
respecter. Par ailleurs, une salle 2.0 a été créée au 12 de la rue Drouot pendant le confinement de novembre 2020. Cette initiative va être
pérennisée, afin de proposer une salle spécialement adaptée, avec des écrans et toute la technique nécessaire. Mais la crise actuelle révèle
que les maisons de ventes et les enchérisseurs ont besoin de l’exposition physique, du lien social et des opportunités que créent les ventes.
Car la personne qui vient à Drouot discute, entend, parle avec un expert, échange des informations, boit un café avec d’autres… Bref,
Drouot est un endroit où les gens se donnent rendez-vous facilement dans Paris. Enfin, je tiens à rappeler le succès remporté par
l’exposition à Drouot du fameux tableau de Caravage expertisé par Éric Turquin, qui devait être vendu à Toulouse. La fréquentation et
l’intérêt furent considérables, prouvant que Drouot est une place centrale et fédératrice pour le marché des ventes publiques en France.
À SAVOIR
Drouot Patrimoine est la maison mère du Groupe Drouot,
dirigée par Alexandre Giquello en tant que président et Olivier Lange en tant que directeur général.
Plusieurs filiales découlent de cette entité :
Drouot Enchère, qui regroupe toutes les activités de l’hôtel des ventes,
Drouot Logistic, l’activité de manutention,
Drouot Digital, la filiale numérique,
Auctionspress, qui publie La Gazette Drouot et Le Moniteur des ventes,
ainsi que Drouot Estimations, opérateur de ventes volontaires.

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